Allez ! De toutes les nations, faites des disciples […] (Mat 28,20)
Le 14 septembre 2014, en la cathédrale St Front, j’étais installé comme évêque de Périgueux et Sarlat. Ainsi, à quelques mois de la dixième année de mon épiscopat en Périgord, je prends conscience que je dois résister à cette tentation subtile, à peine perceptible, qui pourrait me conduire à faire le choix de m’installer dans une certaine manière de servir la mission qui m’a été confiée. Je sais que le risque est réel de m’enfermer dans des habitudes ou de me résigner à la situation pastorale dans laquelle nous sommes, d’adopter une attitude qui consisterait à poursuivre sur l’élan et les acquis les quelques années qu’il me reste à servir l’Église qui est en Périgord.
Mais une voix de plus en plus claire se fait entendre en moi et me rappelle que j’appartiens à cette Église et ce peuple de Dieu en pèlerinage, ici en Périgord, un peuple toujours en marche vers son Dieu et qui tient sa mission de lui. Et, je comprends qu’il n’est pas question de m’installer dans un fonctionnement auquel je pourrais d’ailleurs trouver des justifications spirituelles ! Car résonne au plus profond de moi ce rappel vital que la mission qui se reçoit de la rencontre du Ressuscité ne peut que m’introduire sans cesse, comme chacun de nous, dans un mouvement de renouveau intérieur. Renouveau, non pas pour satisfaire un besoin de changement, mais parce que le Christ est vivant ! Il vit en nous, en vous comme en moi. « Tout ce qu’il touche devient jeune, devient nouveau, se remplit de vie. » (Pape François, Exhortation apostolique Christus vivit, 2019, n°1). Et, ici, comment ne pas faire mémoire, dans l’action de grâce, de mon ordination épiscopale, en 2009 à Mirepoix, dans l’Ariège, et, plus encore, de la mission que j’ai reçue ! A cette occasion, il m’a été rappelé que la première tâche de l’évêque est d’annoncer l’Evangile avec toute l’Église qui lui est confiée. Cette mission est celle des Apôtres que le Christ a envoyés pour que de toutes les nations, ils fassent des disciples (Cf. St Matthieu 28,20). Alors, en réponse à l’appel du Seigneur, j’ai promis de me consacrer à l’annonce de la foi par mes paroles et mes actes, avec la grâce de Dieu et la force de sa miséricorde. L’annoncer en parole et en actes, tel est le véritable chemin auquel je me sens convié en fixant mon regard intérieur sur le Christ, car lui seul a mené à la perfection ces deux aspects indissociables de la foi : Il a fait ce qu’il a dit. Les évangiles en témoignent : ses actes ont toujours été accordés à ce qu’il a annoncé, à ses paroles qui sont esprit et vie. C’est bien lui le Maître, c’est bien lui qui me comble de joie et donne à ma vie tout son sens. Il est ma lumière et mon salut.
Ce sont là des raisons, parmi d’autres, qui me poussent à vous écrire ce message. D’autant plus que grandit en moi cette intime conviction que les grands bouleversements de notre époque, taraudée de l’intérieur par des crises multiples, nous obligent à de nouveaux questionnements, à des changements de modes de vie, et poussent l’Église à approfondir la compréhension de sa mission dans ce qui n’est pas simplement une époque de changements mais un véritable changement d’époque. Alors, oui, après 10 ans d’épiscopat en Périgord, je souhaite rendre grâce pour tout ce qui se vit déjà dans le diocèse au service de la mission de l’Église ! Mais, plus encore, je désire nous permettre d’approfondir et de comprendre cette mission dans un monde qui a considérablement changé, pour que nous nous aidions à avancer ensemble, à la suite du Christ, sans jamais nous décourager face à la pauvreté des moyens dont nous faisons, aujourd’hui, l’expérience.
Rendre grâce tout d’abord, en faisant mémoire de nos racines et de l’histoire missionnaire de l’Église qui est en Périgord. Sur les chemins de la mission, notre diocèse a eu la grâce de vivre différentes étapes stimulantes, qu’il s’agisse du Synode, ou encore de Cap Espérance, ou de la Démarche Missionnaire Synodale qui a été initiée, sans oublier les temps forts diocésains qui ont rythmé ces dernières décennies. Dans l’élan du Synode et de Cap Espérance, notre Église diocésaine a été restructurée avec la création des nouvelles paroisses et des Ensembles pastoraux qui, je le crois, sont une véritable chance pour nous aujourd’hui.
Qui plus est, dans notre diocèse, les initiatives missionnaires ne manquent pas, du pélé VTT et de la Church Academy pour les jeunes, aux pèlerinages de Capelou et de Lourdes, en passant par les formations multiples proposées par les Services diocésains et les Mouvements ! Comment, ici, ne pas mentionner aussi les parcours Alpha, le parcours Siloé, la mission d’évangélisation des prêtres, les parcours de catéchèse, l’Enseignement Catholique ainsi que la coopération missionnaire avec l’Archidiocèse de Garoua. Je n’oublie pas toutes ces initiatives missionnaires portées par les paroisses. Elles mériteraient d’ailleurs d’être davantage connues et partagées, ne serait-ce que pour nous permettre de reconnaître ensemble l’œuvre de l’Esprit Saint et, ce faisant, de nous encourager les uns les autres sur les chemins de la mission ! Il y a là un véritable trésor à mettre en commun, pour sortir de ce cloisonnement qui nous laisse penser à tort que l’Église pourrait se réduire à ce que nous en vivons ! Au-delà de notre diocèse, je rends grâce également pour tous les temps forts de l’Église : le Synode voulu par le pape François pour apprendre à mieux avancer ensemble au service de la mission de l’Église, les Journées Mondiales de la Jeunesse, mais aussi, en France, la démarche Kérygma et les Congrès Mission, sans oublier, dans notre province, le rassemblement des familles, des prêtres, le parcours saint Jean-Paul II pour un discernement vocationnel… Autant d’initiatives et de réalités qui attestent de la vie et de la mission de l’Église !
Oui, il me semble important de rendre grâce pour ce que nous avons reçu et ce que nous recevons encore. Car cette action de grâce nous invite à un double décentrement au cœur de la mission : celui de penser que tout commence avec nous et d’oublier la force que nous donnent nos racines et notre histoire, puis l’autre décentrement, celui qui situe l’horizon de la mission au-delà de nous-mêmes, en l’envisageant dans la dynamique de la promesse du Royaume. Nous sommes alors appelés à cette attitude d’abandon, fondée sur la foi et la confiance. Ainsi, ce double décentrement nous permet de mieux nous ouvrir à la largeur et à la profondeur de l’œuvre de Dieu, toujours fidèle, présent et agissant, sans jamais succomber à la tentation de nous replier frileusement sur nous-mêmes ! Plus encore, il nous rend de plus en plus présents, disponibles à l’œuvre du Seigneur et nous prédispose à mieux entendre son appel, ses appels à collaborer et coopérer avec lui, pour sa plus grande gloire et pour le salut du monde. C’est seulement au prix de ce double décentrement que notre fardeau peut devenir plus léger parce que nous comprenons, dans l’abandon confiant, que c’est d’abord celui du Christ et qu’il le porte avec nous dans le souffle de l’Esprit Saint ! C’est pour cette raison que je vous invite à accueillir, de nouveau, le mandat missionnaire que le Christ a confié à son Église, et les quelques enseignements qu’il me semble important de vous partager pour le service de la mission de l’Église en Périgord.
« Allez de toutes les nations faites des disciples : les baptisant au nom du Père et du Fils et du St Esprit » (Mt 28, 19)
Elle est là notre boussole depuis toujours ! Nous le savons, notre Église est envoyée par son Seigneur pour annoncer l’Evangile. « Nous ne pouvons pas taire ce que nous avons vu et entendu » (Ac 4, 20). Comme saint Paul VI et ses successeurs l’ont rappelé à diverses occasions, « l’Église existe pour évangéliser ». Oui mais comment entendre ce « Allez, je vous envoie » du Seigneur pour aujourd’hui ? Je perçois dans nos attitudes que se mêlent à la fois du découragement et des germes d’espérance. Du découragement, car les engagements dans la vie de l’Église ne portent pas toujours les fruits attendus et suscitent donc de la déception. Mais, de manière étonnante, des germes d’espérance surgissent au cœur de notre Église pauvre et fragile, et nous invitent à reconnaitre que Dieu est toujours présent et agissant, au cœur de ce monde qu’il a tant aimé qu’il a donné son Fils unique pour que, par lui, le monde soit sauvé (Cf. St Jean 3).
La mission : « faites des disciples »
De fait, si la raison d’être de l’Église, c’est la mission, en quoi consiste-t-elle ? Les traductions de la finale de l’évangile selon saint Matthieu varient légèrement, mais ce qui est indéniable c’est que Jésus donne à la mission qu’il confie à son Église naissante quatre repères inséparables les uns des autres : allez, faites, baptisez et apprenez à observer, autrement dit, enseignez. Avec ces quatre verbes, nous reconnaissons tout ce qui a fait la richesse de notre tradition et nous accueillons ce qui, aujourd’hui comme hier, doit porter la mission de l’Église. Cela dit, les exégètes s’accordent à souligner que le verbe et l’expression qui organisent et structurent cette belle dynamique d’ensemble de l’envoi en mission du Christ, c’est « faites des disciples ». Faire des disciples, voilà le cœur battant de la mission de l’Église ! Oui, mais comment cela peut-il se faire ? C’est la question que Marie pose à l’ange, après l’annonce qui lui a été faite, tout habitée par son désir de comprendre et par la volonté de se tenir prête, de se tenir là, concrètement, humblement dans la foi, disponible à l’œuvre de Dieu. C’est une question importante si nous ne voulons pas nous satisfaire de quelques incantations et de discours répétitifs ! Car, la mission, l’annonce de l’Evangile, ça passe aussi par le concret de choix à revisiter.
Alors que devons-nous entendre par « faites des disciples » ?
Comme au temps de l’Église naissante, commençons par accueillir ensemble ce mandat, comme un appel à ne pas avoir peur de prendre à bras le corps la mission que le Christ nous confie, pour la porter avec lui dans la force de l’Esprit Saint, sans jamais oublier qu’il est avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde. « Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez du fruit et que vous soyez pour moi des disciples. » (Jean 15,8). Dans cette perspective, nous comprenons alors qu’un simple toilettage de nos structures, ou un réaménagement de ce qui existe déjà, ne suffit plus ! Car, en vérité, nous le constatons, parfois avec un peu de découragement, cela ne suffit pas à servir l’annonce de l’Evangile en ce monde où nous percevons pourtant des pierres d’attentes et des aspirations à vivre autrement. De fait, si notre organisation pastorale ne le permet plus, comment pourrons-nous être ouverts à ces pierres d’attentes et à ces aspirations qui sollicitent en nous plus de disponibilité pour les accueillir et les accompagner ? Le risque, c’est que nous soyons toujours dans l’insatisfaction quant à la mission confiée et l’appel à porter du fruit. Voilà pourquoi, j’en suis convaincu, faire des disciples, doit devenir, dans toutes nos activités pastorales, l’objectif premier.
C’est ce à quoi nous encourage le pape François, à la suite de ses prédécesseurs, dans son Exhortation apostolique, Evangelii Gaudium (La joie de l’Evangile) : « J’imagine un choix missionnaire capable de transformer toute chose, afin que les habitudes, les styles, les horaires, le langage et toute structure ecclésiale devienne un canal adéquat pour l’évangélisation du monde actuel, plus que l’auto-préservation » (n°27). Ces paroles du pape François me semblent significatives pour nous, aujourd’hui. Il ne s’agit plus de dire et de répéter que nous avons de nouvelles idées ou de définir la mission en termes de stratégies pastorales à mettre en œuvre, au risque d’être rapidement déçus par l’écart entre l’investissement consenti et les résultats obtenus ! Mais, portés par la foi et l’espérance, il s’agit de désirer devenir des disciples missionnaires, habités par le zèle apostolique. Si le désir et le zèle apostolique sont d’abord de l’ordre de la grâce et donc à demander et à entretenir par une écoute quotidienne de la Parole de Dieu, ainsi qu’une vie sacramentelle et de prière, la mission d’évangélisation comporte cependant cette dimension importante de l’apprentissage et requiert, pour cette raison, des moyens, des méthodes et des outils.
Cela n’a rien de surprenant au regard de l’histoire de la mission de l’Église ! Je pense ici au saint curé d’Ars. Avec la grâce de Dieu, il a transformé sa paroisse qui avait la réputation d’une certaine froideur, rétive à la conversion, en une cellule chaleureuse du Royaume de Dieu. Il disait souvent aux paroissiens, dans sa prédication : « Baptiser, marier, enterrer, cela suffit-il pour faire des chrétiens ? ». La réponse pour lui, comme pour tant d’autres disciples missionnaires, a toujours été que cela ne suffisait pas ! Il poursuivait : « une paroisse n’est pas une administration comme les autres, c’est une cellule du Royaume de Dieu, et cela ne se réalise pas par des formalités ». Finalement, dans un contexte tout autre, notre questionnement est toujours le même. Le saint curé d’Ars a eu l’attitude courageuse et prophétique de se poser des questions de fond et de ne pas se contenter de reproduire ce qui s’était déjà fait. A l’exemple du saint curé d’Ars, je nous invite tous ensemble à réfléchir à ces quelques questions !
Comment aujourd’hui l’évangélisation, la pastorale, dans nos paroisses, notre diocèse contribuent à engendrer des chrétiens, ou des disciples missionnaires ? C’est une première question qui nous appelle à être attentifs, à regarder ce qui est mis en œuvre, là où nous vivons et là où nous sommes engagés, au service d’une pastorale dite de l’engendrement.
Partant de ce qui se vit déjà, à quels changements, à quelles conversions personnelles, communautaires et pastorales, sommes-nous appelés dans nos paroisses, dans les Services et les Mouvements ? Quels choix et quelles priorités, pour prendre le temps de servir et de favoriser une Église Mère qui se réjouit d’engendrer des chrétiens, selon le saint curé d’Ars, ou des disciples missionnaires selon le pape François ?
Pour labourer, semer, récolter, nous savons, même si nous ne sommes pas agriculteurs, qu’il faut des outils. De même pour la mission, l’Esprit Saint peut nous aider à trouver les outils pour semer et récolter. L’Église, tout au long de son histoire, n’a jamais cessé de chercher à se donner des moyens, des outils et des méthodes pour annoncer et pour faire connaitre l’Evangile du Christ, en ayant le souci de les adapter aux différentes époques, convaincue que si Jésus-Christ, hier et aujourd’hui, est le même et qu’il l’est pour l’éternité, (Cf. Hébreux 13,8), il est nécessaire de tout mettre en œuvre pour que chaque époque et chaque génération entendent dans sa propre langue les merveilles de Dieu ! Cela signifie qu’il n’existe pas pour la mission de recette prête à l’emploi et qu’il n’y a pas davantage un seul et unique outil qui vaudrait pour tous et en tous lieux ! Voilà pourquoi il me semble important, dans le contexte actuel, que nous apprenions à discerner ensemble, dans la diversité des initiatives missionnaires, l’œuvre de l’Esprit Saint qui fait toutes choses nouvelles, et plus encore, que nous nous encouragions les uns les autres dans tout ce qui est entrepris au service de la mission de l’Église et de cet appel du Christ à faire des disciples !
Église en Périgord, ne cesse pas de te laisser saisir et conduire par l’Esprit de Pentecôte. Comme le feu, l’Esprit Saint purifie, réchauffe et éclaire. Comme le vent, il chasse les peurs, dissipe les doutes et les incertitudes. Comme l’esprit de famille, il rassemble et unit celles et ceux qui sont dispersés.
Oui, l’Esprit de Dieu témoigne en nous que Jésus de Nazareth est le Fils bien-aimé du Père et qu’en Lui et par Lui, le Père nous veut, nous choisit et nous aime comme les enfants de son cœur. L’Esprit Saint nous donne de comprendre à quel point nous sommes aimés, nous et tous les hommes à la rencontre desquels il nous pousse !
C’est cette révélation qui donne aux Apôtres, au matin de Pentecôte, la sérénité, la simplicité et la force du témoignage ! Ils sortent de leurs peurs et ils proclament l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ. C’est ce même Esprit qui frappe à la porte de nos cœurs pour nous embraser et poursuivre l’œuvre d’évangélisation.
Église en Périgord, en ces temps troublés, demeure dans la paix, la confiance et dans l’unité. Ressource-toi dans la prière ! Garde toujours le souci des enfants et des jeunes, des couples et des anciens, des pauvres et des petits. Ne te dérobe pas à la mission : l’Esprit veut passer par toi pour faire advenir le règne de Dieu qui est déjà là au milieu de nous.
Frères et sœurs, membres de l’Église qui est en Périgord, comme un prolongement de ce message, je vous invite à venir nombreux, le samedi 5 octobre 2024, au lycée Saint Joseph-St Vincent de Périgueux, pour vivre un temps festif de communion et de partage pour le service de la mission ! Ce sera la première étape d’un cheminement et d’un processus d’engendrement à la vie chrétienne, pour qu’ensemble, à l’appel du Christ, et portés par l’Esprit Saint, nous nous donnions les moyens de faire des disciples, ici, en Périgord !
Par ailleurs, je demande que, tout au long de l’année 2024-2025, nous prenions le temps et les moyens de nous approprier le mandat missionnaire du Christ, en reprécisant notamment les missions et les objectifs des Equipes d’Animation pastorale, des conseils diocésains ou paroissiaux, en favorisant l’esprit de collaboration et de communion, et en proposant des temps de ressourcement spirituel pour qu’ensemble, nous puissions avancer sur ce chemin de la mission, en fidélité au Christ et à tout ce qu’il a déjà donné à son Église, ici, en Périgord.
En nous confiant à la prière maternelle de la Vierge Marie, Notre Dame de Capelou, nous lui demandons qu’elle nous aide à avancer ensemble, dans le souffle de l’Esprit Saint, pour que l’Église, ici, en Périgord, devienne toujours davantage le ferment de ce monde nouveau dont Jésus-Christ est la pierre d’angle et le premier-né.
En la fête de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de l’Église.
Le 20 mai 2024
+ Philippe Mousset, évêque de Périgueux et Sarlat