par Christian Foucher
À l’heure où les Jeux Olympiques à Paris s’annoncent, nous vous proposons un long article sur les rapports entre l’Église et le sport, publié dans le bulletin diocésain Église en Périgord en Juillet 2018. En partant de l’origine religieuse du sport dans l’Antiquité, nous verrons comment l’Église, d’abord réticente au Moyen-Âge, a fini par s’emparer de la pratique sportive au XIXe mais surtout au XXe siècle à travers les patronages, pour en faire un outil d’évangélisation.
DU SPECTACLE DES DIEUX À LA SOURCE DU PÉCHÉ…
Durant l’Antiquité, la pratique du sport était considérée comme une pratique religieuse. Un des premiers témoignages sur le sujet, l’Iliade d’Homère, nous en donne un parfait exemple lors des jeux donnés durant les funérailles de Patrocle. L’aède nous montre ainsi comment ces jeux funéraires prennent place dans le cadre plus vaste que sont les funérailles du jeunes héros tombé au combat. Cette coutume de la Grèce archaïque est à la fois une manière pour les vivants de « récupérer » la vitalité du jeune guerrier et un spectacle offert aux dieux.
C’est tout le sens que prennent les jeux pendant près de 1000 ans. Ainsi de la Grèce antique, nous connaissons les jeux olympiques dédiés à Zeus mais aussi les jeux isthmiques, dédiés à Poséïdon et les jeux pythiques dédiés, eux, à Apollon.
Ne soyons pas cependant naïfs en ne voyant dans ces jeux de l’Antiquité qu’un acte religieux. Ils participaient également à la préparation du citoyen à la guerre, incessante en ce temps-là, et à la propagande des Cités grecques, en perpétuelle concurrence.
Par la suite la République romaine et, plus encore, l’Empire romain, à partir du Ier siècle, comprendra tout l’intérêt social de tels spectacles : Panem et circenses, du pain et des jeux, une formule qui a perduré jusqu’à nos jours…
Pourtant, c’est un empereur romain qui mettra fin aux jeux olympiques. En 394, l’empereur Théodose, qui a fait du christianisme la religion officielle de l’empire romain, les abolit car il les considère alors comme une source importante du paganisme à combattre.
Les exercices physiques vont alors disparaître durablement du champ religieux. Car s’ils s’inscrivaient naturellement dans les pratiques sacrées de l’Antiquité qui ne dissociaient pas l’âme du corps en les considérant comme les deux composantes d’un tout, il en est tout autrement dans les grandes religions monothéistes et au tout premier chef, la religion catholique. Pendant de longs siècles, celle-ci observe en effet vis-à-vis des pratiques corporelles une distance empreinte de méfiance : source de jouissance donc de péché, le corps est méprisé et laissé en friche.
LE SPORT EN FRANCE : L’INTUITION GÉNIALE DES PATRONAGES
Les patronages catholiques apparaissent au début du XIXe siècle dans quelques grandes villes (Paris, Lyon, Marseille) où le détachement religieux de la jeunesse ouvrière, une classe sociale appelée à se développer, se fait particulièrement sentir. Il s’agit alors, selon les mots de l’époque, de préserver les jeunes gens des dangers de la rue et du cabaret en leur procurant des loisirs « sains et honnêtes » associés à des exercices de piété.
En 1866, on ne compte encore que 166 patronages dans toute la France, la plupart en milieu urbain ; ils sont plus de 4 000 en 1900, toujours majoritairement dans les villes, mais commencent alors à gagner les zones rurales.
Les activités proposées se diversifient : à la gymnastique, privilégiée au départ, s’ajoutent les sports, et en particulier le football, dont la revue Le Patronage publie en 1896 les règles du jeu. L’idée vient de mettre en place des concours et des compétitions, et c’est dans ce but que quelques personnalités catholiques regroupées autour du docteur Michaux créent en 1898 une commission d’organisation qui se constitue en association à la faveur de la loi de 1901 et se donne en 1903 l’appellation de Fédération gymnastique et sportive des patronages de France.
Après un développement spectaculaire durant l’entre-deux guerres, les effectifs de la fédération vont connaître leur apogée au milieu des année 1950 avec 4 200 sociétés regroupant près de 800 000 membres
Le déclin s’amorcera ensuite brutalement dans les années 60 et 70 avec une stabilisation des effectifs dans les années 80 : en 1997, la FGSPF comptait 1800 sociétés et 200 000 membres…
L’ÉVOLUTION AU LONG DU VINGTIÈME SIÈCLE
C’est seulement à la fin du XIXe siècle que s’opère une véritable rupture. Le sport moderne est alors en gestation et en France les sociétés de gymnastique se multiplient à des fins essentiellement martiales : il s’agit de fortifier la race pour défendre la nation et récupérer l’Alsace et la Lorraine. Les patronages catholiques s’emparent de ces activités afin d’attirer de nouvelles âmes.
Le phénomène va connaître une accélération significative au début du XXè siècle. « Avec l’avènement des lois scolaires, toute une partie de la jeunesse n’est plus accessible à l’Église que par le biais des loisirs, souligne Yvon Tranvouez, professeur d’histoire à l’université de Brest. Les patronages développent alors le sport pour toucher davantage de monde.»
Idée visionnaire, à une époque où la pratique sportive est encore réservée à une élite mais suscite beaucoup d’envie dans les milieux populaires. Gymnastique, mais aussi athlétisme, basket et football sont proposés au sein des «patros» et rencontrent un vif succès.
Pour contrer cette offensive, des amicales laïques se créent à leur tour. Le sport devient une arme privilégiée dans la sourde bataille que se livrent l’Église et la République. Une lutte d’influence qui se lit dans les effectifs que chacun des camps se vante d’aligner, et qui s’incarne dans l’imaginaire collectif à travers la petite guerre que se livrent quotidiennement le curé et l’instituteur via les équipes qu’ils parrainent. « En fait, l’opposition s’organise plutôt de façon triangulaire, nuance Yvon Tranvouez. Trois courants vont se disputer les jeunes au travers du sport : les Bleus, avec le sport catholique, les Blancs avec le sport laïc, les Rouges avec le sport communiste ».
LA MESSE OU LE MATCH
Cette rivalité va diviser le sport, avec parfois comme enjeu l’influence exercée sur les différentes disciplines. Si la gymnastique et le football rencontrent un succès à peu près égal dans les trois camps, le basket apparaît vite comme un « sport catholique » (1) et le rugby comme un « sport laïc ». « Certains ont avancé que le corps à corps qui caractérise le rugby répugnait à la morale catholique. Il me semble plutôt que son caractère laïc est la conséquence de la région dans laquelle il est implanté », estime Yvon Tranvouez.
Avec le développement du sport, l’Église doit en tout cas interroger certaines de ses valeurs, ce qui n’est pas sans lui poser quelques problèmes. Certes, le sport représente pour elle un bon moyen de dépoussiérer son image et de s’inscrire dans la modernité. Qu’un vicaire retrousse sa soutane pour taquiner le ballon avec de jeunes âmes, et c’est le triomphe assuré ! Qu’un évêque offre sa bénédiction dans les stades, et c’est encore un point de gagné contre tous ceux qui taxent l’Église de réactionnaire. Mais au passage, il faut réussir à désarmer les préventions d’une partie du clergé qui continue de marquer son hostilité aux choses du corps. « L’enjeu sera de démontrer que l’exercice physique, parce qu’il implique le dépassement de soi, constitue une ascèse, exige une discipline rigoureuse et rend plus fortes les âmes » écrit Laurence Munoz dans Une histoire du sport catholique (L’Harmattan).
De manière plus prosaïque, il lui faut aussi composer avec un nouveau calendrier qui n’est pas toujours compatible avec le sien. « Le sport impose son temps qui n’est pas celui des offices, et cela provoque des conflits au sein même du clergé, raconte Yvon Tranvouez. Un véritable débat s’instaure sur la fin et les moyens… ». Ce débat-là va perdurer, car au fil des années, le décalage s’accroît entre un sport triomphant et une Église en perte de vitesse.
Utilisée initialement comme vecteur de la religion, la pratique sportive devient peu à peu centrale et finit par phagocyter tout le reste. En 1947, au patronage l’Hermine de Nantes, l’abbé entre ainsi en conflit avec le bureau de la section sportive. Ulcéré de ne plus voir ses joueurs à la messe, il décide de prendre des sanctions. Le bureau dans son entier finit par démissionner pour exprimer son désaccord. Geste fort qui marque une nette volonté d’autonomie et qui illustre le grand mouvement alors en marche.
À partir des années 60, l’Église ne fait plus recette, ses « patros » autrefois symboles de modernité sont devenus désuets et le sport se pratique de plus en plus en dehors de tout cadre idéologique. « Il s’agit moins d’une crise proprement religieuse que d’une modification plus complète de la société, avance Yvon Tranvouez. On assiste à de nouvelles façons d’entrer dans la vie adulte. Pour la génération « Salut les copains », le patronage apparaît comme complètement décalé ».
AUJOURD’HUI ?
Les relations se sont apaisées entre Église et sport. Et celle-ci comme sur bien d’autre sujets a réussi à se positionner en faisant entendre sa spécificité : si les valeurs du sport en tant que discipline physique, mais aussi morale, et la manière dont la pratique sportive favorise le vivre-ensemble, sont évidemment mises en avant par l’Église catholique, celle-ci ne se prive pas non plus de dénoncer le sport-business déconnecté de ces mêmes valeurs dont il est issu…
Les papes ont aussi fait entendre la voix de l’Église lors de grands événements. Depuis Pie X, au début du XXe siècle, ils ont accompagné la naissance et le développement des mouvements sportifs. Plus près de nous on se souvient des images de Saint Jean-Paul II faisant du ski ou du football. De même Banoît XVI assistait régulièrement, quand il était évêque, aux matchs du Bayern Munich. Enfin Mgr Bergoglio (le pape François) avait sa carte de socio (supporter) au club de San Lorenzo…
Dans notre diocèse, Mgr Michel Mouïsse, évêque émérite de Périgueux et Sarlat, n’a jamais caché son passé de rugbyman et sa passion toujours intacte pour ce sport. Le Pélé VTT est aussi là pour nous rappeler que le sport peut être fédérateur et un outil puissant d’évangélisation s’il est correctement accompagné spirituellement. Le 1er juillet dernier (voir pages suivantes) le premier tournoi interparoissial de foot, organisé par la pastorale des jeunes et Ludovic Merlet (voir le numéro précédent d’EP) a rassemblé près d’une centaine de personnes. Enfin, à la Toussaint, la Pastorale des Jeunes proposera sur le modèle de la Church Academy, une Sport Academy destinée à faire découvrir Dieu aux jeunes à travers les activités sportives.
On le voit : les liens entre Église et sport peuvent être forts pour peu qu’on se donne la peine d’envisager ce dernier dans ce qu’il a de plus noble et de plus beau : le respect de l’autre et le dépassement de soi.
Que de chemin parcouru depuis les funérailles de Patrocle…
Sources :
- Yvon Tranvouez, « Le sport catholique en France », Vingtième Siècle. Revue d’histoire 2006/4 (no 92), p. 171-180. DOI 10.3917/ving.092.0171
- Sport et Religion, Sylvie Guillou, septembre 2005 – Siteenseignement-et-religions.org