Avec le Bienheureux Guillaume Joseph Chaminade, « …faire connaitre l’évangile, le Christ dans une époque profondément troublée… »
Bordeaux, le 22 janvier 2023
Homélie
Isaïe 8, 23 – 9, 3 ; Psaume 26 ; 1 Corinthiens 1, 10 -13.17 ; St Matthieu 4, 12-23
Chers amis, frères et sœurs,
Je vais être franc, en acceptant votre invitation, ce fut pour moi l’occasion de faire mes premiers pas dans la découverte de la vie et de l’œuvre de votre fondateur, le Bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade. Je comprends pourquoi vous m’avez invité du fait de mon lien avec le Périgord. Périgueux et Mussidan furent des lieux marquants de sa vie, une étape importante. Mais ce que je retiens de lui, sans le connaitre encore suffisamment pour en parler avec assurance, c’est d’avoir annoncé l’évangile de manière renouvelée à une époque profondément troublée et non favorable, a priori, à la mission de l’Eglise. Il a d’abord commencé par accueillir l’évangile du Christ dans son cœur et sa propre vie. Il donne comme boussole, comme un marqueur essentiel et fondamental, qu’à l’origine de la foi chrétienne, il y a d’abord une rencontre, une relation personnelle avec Jésus, le Christ. Cela m’a fait penser à Benoit XVI qui disait : « A l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un évènement, avec une personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là une orientation décisive ». Ouvrir les intelligences et les cœurs à la parole de Dieu, à l’évangile, à une époque troublée et tourmentée, comment cela ne peut-il pas nous parler pour nous aujourd’hui ?
Tout commence par l’écoute de l’évangile comme nous ce soir. Jean Baptiste est emprisonné, empêché de parler et Jésus commence sa prédication dans toute la Galilée. « On n’enchaine pas la Parole » dira saint Paul (2 Tm 2, 9). C’est le 1er message : quoi que l’on fasse, quelles que soient les conditions de vie, les circonstances, rien n’a pu (dans le passé, malgré les tragédies de l’histoire), ne peut et ne pourra arrêter l’œuvre de la Parole de Dieu. Lorsque celle-ci tombe dans les cœurs… même cabossés par des évènements douloureux, fragilisés par les épreuves, rien ne peut empêcher la Parole de Dieu, la grâce de l’évangile de les rejoindre, de les sauver en les ouvrant de nouveau à la Vie, alors que tout semblait indiquer une impasse, une voie sans issue.
Ça fait écho à ce que nous décryptons dans la vie du Bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade. Le contexte historique hostile, l’obligeant même à l’exil, n’a pu enchainer la parole de Dieu, l’arrêter dans son œuvre. Son cœur et son intelligence, touchés par la grâce de Dieu, le souffle de l’Esprit, la proximité de Marie, ont été comblés des ressources spirituelles qui l’ont empêché de se décourager, de se laisser définitivement briser intérieurement, de tout abandonner et de se laisser gagner à l’aigreur des ressentiments ! Le bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade, en découvrant que le Christ Lui-même a partagé la condition du pauvre, du souffrant, du rejeté, comprend qu’il le précède et l’accompagne dans ces épreuves et que c’est bien là, au cœur de cette humanité souffrante, que s’accomplit son œuvre, la victoire de la vie et du commandement de l’amour. C’est là que nous reconnaissons Dieu et,en même temps, nous reconnaissons notre identité profonde, la source de l’unité et de la communion…
Autant de raisons qui nous font comprendre le caractère urgent de la mission dans l’appel des disciples par Jésus : Ils les appellent et « Aussitôt ils le suivirent ». L’appel missionnaire de Jésus n’est pas à remettre à demain quand on aura du temps. Ce n’est pas non plus une option. C’est maintenant, c’est aujourd’hui qu’il m’invite à le suivre. Les enjeux sont considérables. Il s’agit de faire l’expérience vitale et fondamentale de la rencontre de Dieu pour soi-même et en même temps pour le service des frères et sœurs. Pourquoi des pécheurs du lac : parce que c’est un métier où l’on ne maîtrise pas tous les éléments. Ils sont confrontés régulièrement à des tempêtes et, des tempêtes, il y en aura toujours à traverser dans la mission. En plus, il arrive que l’on revienne bredouille parce que ça ne marche pas comme prévu, alors Jésus en fait une invitation à persévérer, à creuser plus profond nos désirs, nos attentes et écouter davantage les attentes du cœur humain en ce monde. II ne les appelle pas isolément, mais en frères pour vivre fraternellement et ensemble la mission. Oh, chers amis comme c’est parlant en ce lieu ! Comment ne pas repérer la source inspiratrice des intuitions du Bienheureux Chaminade. Quelle actualité !
A cette lumière, on comprend que, pour lui, la foi était une force pas seulement mentale, mais une force cordiale qui saisissait toute sa personne et lui donnait un élan nouveau, un nouvel horizon, une nouvelle orientation même là où humainement tout semblait fermé. Oui, il a été touché dans son propre cœur, siège de l’intelligence, des sentiments et des désirs profonds. Il n’y a pas de meilleur lieu pour trouver Dieu, et pour aider à le chercher, que le cœur de chaque homme et de chaque femme de son temps. Il l’avait appris en s’observant lui-même attentivement dès son plus jeune âge, et en scrutant le cœur humain. Et ça s’est approfondi au fil du temps marqué par de nombreuses épreuves !
Je me suis interrogé sur l’héritage du Bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade pour notre époque, et j’ai trouvé éclairante sa capacité de vision. Par un don de Dieu d’une part, par sa nature personnelle d’autre part, et aussi par sa solide expérience, il avait eu la nette perception d’un changement d’époque. Lui-même n’aurait jamais imaginé y reconnaître une telle opportunité pour l’annonce de l’Évangile. La Parole qu’il avait aimée depuis sa jeunesse était capable de faire son chemin, ouvrant des horizons nouveaux et imprévisibles, dans un monde en plein basculement.
C’est ce qui nous attend aussi comme tâche essentielle en ce changement d’époque que nous vivons : une Église non autoréférentielle, libre de toute mondanité mais capable d’habiter le monde, de partager la vie des personnes, de marcher ensemble, d’écouter et d’accueillir comme dit le pape François. C’est ce que notre Bienheureux a accompli en déchiffrant son époque, avec l’aide de la grâce. C’est pourquoi il nous invite à sortir d’une préoccupation excessive de nous-mêmes, des structures, de l’image que nous donnons dans la société et à nous demander plutôt quels sont les besoins concrets et les attentes spirituelles de notre peuple et du monde. Il est donc important, aujourd’hui encore, de relire certains de ses choix cruciaux, pour habiter le changement avec une sagesse évangélique.
+ Philippe MOUSSET
Evêque de Périgueux et Sarlat