Un « cabotage spirituel ». C’est ainsi qu’est sous-titré le dernier ouvrage de Bernard Cougoul, médecin retraité et diacre.
Et c’est effectivement un cabotage que nous effectuons en sa compagnie à travers l’œuvre prolifique de Frédéric Dard, sous le pseudonyme de San-Antonio (175 livres, si on inclut le dernier, Céréales Killer, écrit par son fils, après la disparition de l’auteur, le 6 juin 2000). Cette navigation en bord de côte se fait sous un angle imprévu, celui de la foi. Imprévu, mais pas inattendu pour celles et ceux qui qui sont familiers des livres du commissaire le plus célèbre de la littérature policière française après Maigret, sans doute.
San-Antonio, c’est un œuvre, conséquente, qui témoigne de la force de travail de Frédéric Dard. Un œuvre qui n’a sans doute pas la reconnaissance qu’elle mérite, tant sa place dans la culture populaire française est à part. Tout le monde ou presque a tenu un de ses livres dans les mains, et quand bien même ça ne serait pas le cas, nous avons tous connu quelqu’un qui en était un lecteur enthousiaste. D’ailleurs Bernard Cougoul rend hommage à son père en début d’ouvrage et à son fils (qui l’a aidé dans le choix des citations) tous deux médecins, mais surtout San-antonionistes, comme quoi le commissaire San-Antonio et ses comparses Bérurier et Pineaud, ont su traverser les années.
San-Antonio ce sont des enquêtes policières, mais réduire cette œuvre à cela c’est passer à côté de l’essentiel, ce serait comme dire que la Joconde est une peinture, c’est un peu court, mon cher ! Car San-Antonio c’est bien plus que ça, c’est un héros, qui raconte ses aventures, et qui, pour cela, n’hésite pas à triturer la langue française, à la tordre, à la presser, comme on presserait du raisin pour en faire sortir le jus pour en faire du vin. S’arrêter à la surface des œuvres de Frédéric Dard, c’est passer à côté de l’essentiel. Bien sûr la volonté première est de distraire, de faire rire, une énorme ambition si l’on en croit Pierre Desproges, et bien sûr San-Antonio est volontiers paillard, avec des tournures qu’on qualifierait au minimum de misogynes aujourd’hui.
Grossier, souvent, vulgaire, à voir. Car, il faut le reconnaître, il faut avoir l’esprit affûté pour suivre Frédéric Dard à travers ses jeux de mots, ses élucubrations grammaticales, ses néologismes, ô combien nombreux ! Alors, non San-Antonio n’est peut-être pas pour tout le monde, mais comme le dit Bernard Cougoul » San-Antonio, on peut ne pas l’apprécier, mais on ne peut pas ne pas l’essayer « .
Venons en maintenant au cœur de ce livre : comment, à travers la lecture de San-Antonio, découvrir l’expression de la foi d’un homme, celle de son auteur, Frédéric Dard, foncièrement catholique ? Ce paradoxe ne l’est que pour celles et ceux qui ne sont pas familiers avec son œuvre. Ceux qui ont dévoré ces enquêtes souvent échevelées savent que le héros discute régulièrement avec le « Très-Hautiste », qu’il prend régulièrement à témoin face aux agissements de ses contemporains. Et Bernard Cougoul nous prend par la main, mets en regard les citations et certains textes plus « canoniques » et nous montre, loin de nos préjugés ce que les préoccupations existentielles du commissaire San-Antonio ont d’universel.
Même si cela peut surprendre Frédéric Dard est un auteur humaniste, de la graine de Rabelais, au sens le plus noble d’un adjectif trop souvent galvaudé ; un écrivain habile qui sait passer par la chair et son expression du vivant pour toucher l’implacable condition humaine, dans ce qu’elle a de grand et dans ce qu’elle a de moins glorieux. Et toujours sans juger, même si son héros précipite souvent la rencontre de ses frères humains avec leur créateur à grand renfort de coup de feux et d’hémoglobine…
Dieu, l’Espérance, les humains, la mort, la Foi, l’Église, la prière, même, tous ces thèmes sont traités dans les œuvres de San-Antonio, et ils expriment toujours en filigrane l’Amour qu’à l’auteur pour la vie, mais la vraie, pas celle rêvée. Non, au contraire, en s’intéressant au plus petits, comme aux plus grands, Frédéric Dard les mets sur un pied d’égalité et révèle l’Humain, celui qui aime, croit, mange, celui qui est autant aimable que détestable… San-Antonio c’est aussi l’expression d’un lien direct à Dieu, un dialogue régulier, brutal parfois, mais toujours honnête, loin des faux semblants et des convenances.
C’est à la découverte d’une facette méconnue d’une œuvre que tout le monde pense connaître que Bernard Cougoul, qui fait aussi partie de la Pastorale œcuménique des prisons, nous invite. Loin des préjugés, c’est l’occasion de relire notre foi à une lumière aussi revigorante qu’inattendue.
Foi de San-Antonio ! Un « cabotage spirituel »
par Bernard Cougoul.
Éditions Universitaires de Dijon, 2022.
150 p. 10€